Dans le train du retour (en arrière)
Je suis dans un TGV qui me ramène chez moi, vers le Sud-Ouest. Et là, juste là, je vous écris sur mon grand cahier ce billet que je mettrai en ligne plus tard.
On est des centaines dans ce train plein comme un oeuf à rentrer de notre ouikaine de Pâques. Pas une place de libre. Dans le siège de l'autre côté du couloir central, il y a une vieille dame, le Figaro posé sur les genoux qui dort la bouche ouverte en poussant un ronflement sonore toutes les minutes, et ça fait rire tout le monde. Face à elle, un homme de 50 ans à lunettes, peut-être bien alcoolo : sa tête fait un joli camaïeu avec les rideaux rouges du wagon.
Plus loin, presque en face de moi, il y a une femme, la trentaine finissante mais peut-être pas. Son visage est fermé comme une huître et sa bouche aux coins tombants lui fait un vilain sourire à l'envers, comme si elle avait oublié la mimique, ou ne l'avait pas pratiquée depuis longtemps. Les yeux plantés dans son "Psychologie", de temps en temps elle pouffe, peut-être lorsqu'elle reconnaît un des traits de caractère d'un hypothétique collègue de travail qu'elle aurait poursuivi de ses assiduités. Parfois elle secoue à peine sa chevelure blonde décolorée, avec "pas un cheveu qui dépasse". Et je suis sûr que dans sa robe noire plissée, elle se voit belle et s'imagine ressembler à une des stars people qui peuplent le Gala qu'elle lisait tout à l'heure. Ben non... En réalité, avec son pull turquoise, elle ressemble plutôt à une 4L de France Télécom.
Mais le spectacle n'est pas là. C'est dans les deux fauteuils à ma gauche, que ça se passe. Il y a un gosse de 5 ou 6 ou 7 ans avec son père. Le gamin est vachement bavard, habité de ce genre d'excitation impatiente qu'ont les gosses lorsqu'ils voyagent. Un gamin expansif et rigolard comme je les aime bien mais pas capricieux ni bruyant.
Avec son père, il a d'abord joué au jeu des personnages mystérieux. Dans sa petite tête, il en choisissait un et le père essayait de deviner lequel en posant des questions. Bien sûr, le papa était un peu à la ramasse, parce que Babar, Tonton-Fredo, Oui-oui ou Titou-le-caniche-de-Mamie Monique c'est pas forcément facile à deviner. Finalement y'a que Dora l'exploratrice qui ne lui a pas posé de problème. Faut dire que chaque fois que son père lançait sa question, le gosse se trahissait en regardant l'album d'elle qu'il avait sous les yeux.
Et quand il trouve la bonne réponse ou donne sa langue au chat, ils ont tous les deux un regard complice avec les yeux qui se plissent, sauf qu'au plus vieux, ça lui fait apparaître des griffures de bonheur. Puis après, il a demandé à son père d'écrire "Dora je t'aime", sur les pages qu'il avait déjà coloriées.
Et ce gosse, plus je le regarde et plus j'ai l'impression qu'à son âge, j'avais un peu la même tête, le discours en moins, parce qu'à moi on m'avait expliqué que les enfants, ça parle que quand on leur adresse la parole. Et assister à cette scène, ça m'a fait repenser à cette fois où j'avais pris le train avec mon père. J'avais à peu près le même âge que lui. C'était pas un TGV mais le wagon à compartiments d'un train de nuit, c'était pas en première classe mais les sandwichs de maman étaient meilleurs, le pull de la décolorée-qui-se-voit-belle n'était certainement pas turquoise et la vieille qui voyageait seule devait être en noir qui sent la naphtaline et lire "Modes et Travaux". Je me souviens plus bien mais c'était aussi un petit garçon qui voyage seul avec son papa.
Ce dont je me rappelle bien, c'est que très vite mon père s'était mis à s'intéresser particulièrement à la fausse-belle et que plus tard il l'avait invité à boire un verre (Mon oeil oui !) et m'avait demandé de garder les bagages. Et j'étais resté tout seul plusieurs heures, presque jusqu'à l'arrivée en me demandant comment j'allais faire si j'avais envie de faire pipi.
Allait-il falloir que je demande à la vieille dame de m'indiquer le chemin des toilettes ?
N'allait-elle pas vouloir me tenir le robinet ?
Tout un tas de questions bien angoissantes pour un petit garçon.
Pis hier, après m'être souvenu de ça, je me suis mis du gothic à fond dans les oreilles.
Et je m'entendais même plus penser.
Je suis tout petit mais je fais déjà peur aux filles (surtout aux vilaines).
Mardi soir.
Bande son : AS Dragon "Un hémisphère dans une chevelure".
Vous serez gentils de pas vous moquer de la mienne. C'est pas moi qui avait choisi. La raie sur le côté ça devait être pour la photo.