La jeune femme dans le train
Bon, c'est décidé, maintenant faut que je la trouve.
Donc que je la cherche.
Alors voilà ce qu'il c'est passé aujourd'hui.
Aujourd’hui, je prends donc le train pour faire un aller retour vers Tours. Ca n’est pas un TGV mais j’aime autant. Le voyage prendra plus de temps, et comme je suis pas un rapide moi-même, ça me correspond mieux.
Je commence à me plonger dans un roman que j’espère bon et je remarque une jeune femme à la peau diaphane quelques fauteuils plus loin. Ses yeux sont immenses et son regard dans le vague est perdu dans la campagne qui défile en sens inverse. Elle prend parfois une bouffée d’une cigarette qui se consume lentement au bout de ses doigts fins. La fumée qui s’en échappe monte vers le plafond du wagon comme un fil immatériel mais agité d’une imperceptible vibration qui trahit un infime mouvement de ses doigts. Elle doit être en train de penser à quelque chose qui la touche, quelque chose d’émouvant et qui occupe son esprit de romantique. Ses cheveux descendent en longues cascades ondulant sur ses épaules et entourent son visage comme si elle portait une étole de madone. Mon regard ne peut se détacher de ce visage à la fois enfantin et mélancolique. Et quelque chose se passe en moi. Comme une vague qui se met à monter, comme une tension amoureuse, ce sentiment étrange, à la fois agréable et un peu stressant. Angoulême approche et je me dis que si elle n’y descend pas j’irais l’aborder juste après. Le train s’arrête et repart. Elle est toujours là. Il faut que je lui parle c’est obligatoire. Bien sûr, comme chaque fois que l’enjeu est important, je suis un peu paralysé. Mais je dois me ressaisir. J’imagine que c’est peut-être la femme de ma vie, qui est assise trois fauteuils plus loin et si je devais ne jamais lui parler, ça serait une grande perte, une perte définitive. Je me lève lentement et essaye de calquer ma démarche sur celle d’un grand félin. Elle-même ressemble à une bête sauvage et belle, alors autant que mon apparence rime avec la sienne. Je ne suis plus qu’à deux pas d’elle. Elle lève ses yeux vers moi encore cachés par les boucles de ses cheveux. Je lui fais un sourire et sur son visage le sien se dessine comme pour faire écho au mien. Je sens mon cœur accélérer. Je me penche vers elle et de ma voix la plus chaude, en quelques phrases, je lui parle de la douceur des voyages et des rencontres et de mon invitation à aller boire un café au wagon restaurant.
Là elle me sourit encore, et me dit avec dans la voix des intonations que ne renierait pas une marchande de poissons : " Ça me dirait vachté bien, mais chpréfer’ pas, cause que chuis toute ballonée à koz’ des fayots que j’ai mangé hier soir ".
Bref, je suis allé me rasseoir. Mais merci. Merci mon ami le destin. Merci d’avoir mis hier soir dans son assiette, ces féculents qui ce matin lui ont fait craindre l’accident gazeux lors de son déplacement vers ce wagon restaurant qui n’aurait pas été le témoin d’un idylle naissante.