En route pour la joie
Pas la peine que je me mette à tortiller du cul : je suis un guitariste frustré. Ça fait au moins dix ans que j’essaye de jouer "Hey Joe" et "Voodoo Chile" avec autant d’inspiration que Jimi mais à un moment faudra bien que je me rende à l’évidence : j’y arriverai jamais.
Mais l’heure de la revanche approche.
La semaine dernière, un plantigrade de mes amis de la vraie vie m’a fait écouter les maquettes qu’ils viennent de produire à trois pour courir la maison de disques. Dès les premières mesures, ça m’a fait dresser l’oreille. Le chanteur a une voix de dandy qui saute de mots inspirés en phrases syncopées, le batteur a la force d’un verre de mezcal avalé cul sec et la régularité du lapin Duracell, et l’ours guitariste, le changement rythmique surprenant, la gamme dorienne facile et le son gras comme celui d’un vieil ampli 30 secondes avant que ses lampes rendent l’âme. Finalement, ça donne un mélange étrange, situé quelque part entre le zoo et la boucherie, le bar de nuit, le théâtre et l’asile de fous.
Et le bassiste, vous allez me dire ? Ben y’en a pas !... Pas encore…
Alors je vais ressortir mon ancestrale Hoffner, changer les micros qui sont un peu démagnétisés, faire régler le manche, virer le Triskel pourri dessiné par le précèdent proprio et le remplacer par la tête de mort de Goretta ou le bec vengeur de Woody Woodpecker et vas-y Yoj’, envoie du bois.
Alors c’est sûr, je serai jamais le chanteur leader qui répond au micro à la télé. De toute façon, je peux pas chanter, j’ai une maladie orpheline, si rare que je suis seul à l’avoir : quand je chante, je baille. Je serai pas non plus le tricoteur d’arpèges et le plaqueur d’accords, mes connexions mentales me permettent pas d’appuyer sur six cordes à la fois sans jamais me tromper. Je serai juste le mec dans l’ombre qui parle un langage simpliste et primal.
Tant mieux ! La lumière ça me pique les yeux et en plus, cette langue, je la parle déjà.
Tudum… Tudum… Tududum….
Dimanche.
Bande son : Un chant qui ressemble à "M" et une guitare qui sonne comme sur les Four Tracks Demo de P.J. Harvey : Mademoiselle K "Ça me vexe" et "Ça sent l’été"