La solution à 53%
Vu depuis ma fenêtre, mon pays était un amalgame étrange et disparate, de ceux dont on pouvait croire qu'allait émerger une société protéiforme, fertile en échanges et riche de promesses. L'idée était belle, mais dans 53 de ses pour-cents, je vois aujourd'hui d'autres humains...
Une toute petite part de gros capitaines d’industrie et de patrons qui estiment que la vie ne vaut que dans le combat économique, que le credo nécessaire est "soyons compétitifs", que les défiscalisations seront promesses de bénéfices encore plus grands, que le travail à prix cassé des salariés créera les conditions de l’emploi d'une masse forcément sous payée pour être bien placée même face au tiers-monde. Des gens qui n'envisagent que cette élection comme une étape, parce que tant que le français gagnera davantage que le chinois, on pourra pas lutter contre eux.
Leur armée de valets tout droit sortis des écoles de commerce, incapables de penser autrement que marges bénéficiaires, marketing warfare, profits et croissance, incapables aussi de se rendre compte que le théâtre de leur combat est une planète à taille limitée et que les combattants sont des humains qui voudraient bien vivre en paix.
Une part d’électeurs qui a toujours voté à droite, "papa le faisait déjà mon ex-mari le faisait aussi moi je l’ai toujours fait je vois pas pourquoi je changerais maintenant d’autant plus que la gauche c’est gabegie et compagnie t’as qu’à voir du temps de Mitterrand je connais même personnellement quelqu'un qui bosse dans une mairie de gauche tu verrais le gaspillage…".
Une tranche de racistes qui pensent que les étrangers ne sont ici que pour vivre de l’aide que l’on peut leur apporter, sans jamais imaginer qu’eux aussi ont une richesse à partager, sans se rendre compte que l’histoire de France est un profond métissage et que souvent leur propre histoire familiale est celle de l'immigration. Et sans se souvenir non plus que les pères de la majorité des colorés différemment sont venus construire leurs routes, leurs immeubles leurs hôpitaux et parfois même dans des conflits précédents ont pris les armes pour défendre ce pays auquel ils croyaient.
Une sacrée épaisseur de vieux machins ne sortant de chez eux que le jour, pour consommer au supermarché et ne regardant leur pays qu'à travers leur boite-à-cons-écran-plat, sans jamais aller à la rencontre de l'humain différent, sans réaliser qu'on peut se balader partout à toute heure, sans se faire davantage dépouiller aujourd'hui que depuis la nuit des temps ; des pleins wagons de vieux aux idées à la naphtaline, qui voudraient bien que la jeunesse qui bosse déjà 50 heures par semaine, se mette enfin au boulot parce que sinon qui nous paiera nos retraites et nos fonds de pension.
Une quantité non négligeable de stupides, qui choisissent un président comme on choisit un fromage, "parce que sa pub elle est mieux faite", "parce qu’il a de la prestance", "parce que je suis sûr qu’il sera plusse pris au sérieux dans les réunions internationales", "parce qu’il bouge mieux les mains", "parce qu’il parle plus fort", "parce qu’avec l’autre de toute façon, c’est une femme, ça va être le bordel dans le pays 3 jours par mois".
Une jolie brochette d'amnésiques ou de gens qui petits séchaient les cours d'histoire, qui ne voient rien de la soupe qu'on leur sert à la télé, qui pensent que la censure en marche est une invention pour faire peur, pas plus inquiétante qu'un masque d'Halloween. Une bande de pleutres voulant en découdre sur tous les fronts et contents de voir s'ouvrir ENFIN la boîte à gifles, sans penser une instant que lorsque la distribution de baffes commencera, il y en aura sûrement pour tout le monde.
Une tripotée d'incivils qui voudraient bien qu'on apprenne à vivre au jeune black à la casquette de travers et à la démarche de singe, mais qui triche autant qu'il peut sur sa déclaration d'impôts, qui conduit bourré en sortant du restaurant et qui roule à 180 sur l'autoroute et qui n'assumera pas ses fautes, parce qu'il connaît quelqu'un de bien placé qui peut lui faire sauter ses PV.
Un joli lot d'égoïstes qui préfèrent céder à la fausse promesse d'impôts qui baissent, sans imaginer un instant que ce qu'on leur donnera d'une main, on leur reprendra de l'autre pour l'école, le gaz, l'électricité, la santé. Des esclaves gras à la bouche bien pleine et au 4x4 arrogant, qui priveraient bien des RMistes de leur maigre allocation pour se payer cet écran plasma trop fabuleux.
Une bonne couche de demeurés qui déclarent une fois l’élection gagnée que grâce à Nico’, c’en est fini des années Mitterrand, qu’une page est tournée, qu’on va enfin pouvoir bosser, et qui affirme tout ça, la victoire en bandoulière sans se demander comment le nouveau président réussira demain ce qu’il a raté pendant 5 ans.
Et puis surtout je vois des crypto-citoyens pour lesquels le vote était un moyen d'affirmer leur rejet de l'autre, leur désir de se démarquer de cette autre France qu'on leur présentait différente d'eux-mêmes et responsable de tous leur maux, cette France dont pourtant je fais partie.
Alors évidemment, si le résultat de cette élection avait été différent, si les mois à venir ne me paraissaient pas si sombres, je ne réagirais sûrement pas comme ça. Mais aujourd'hui plus que jamais auparavant, j'ai l'impression que mon pays est coupé en deux et que la moitié des gens qui l'habitent ne me correspond en rien.
Et cette moitié là, je l'enverrais bien se faire foutre.
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Un jeudi comme jamais.
Bande son : the Clash... Devine laquelle.
Vous inquiétez pas, à un moment je vais me calmer.